Depuis les vacances, je m’étais laissé un peu aller. Je m’étais empoté. Je n’entrais plus dans mon Levi’s. J’étais abattu par l’image que me renvoyait ce satané miroir. Dégouté ! En me voyant ainsi, Emma sortit une chemise claire, un pantalon en toile gris, un blazer qu’elle m’avait offert, une paire de chaussettes assortie et ma paire de Stan Smith blanche.
« Comme ça, tu as la classe ! Qu’est-ce que tu ferais sans moi » me dit-elle d’un air satisfait. Elle me redonna du baume au cœur. Mine de rien, elle savait y faire avec moi l’introverti. J’en avais besoin de cette bonne femme !
Mais j’avais encore eu l’impression d’être son petit. J’avais toutes sortes de théories qui me venaient à l’esprit. Peut-être qu’elle endossait ce rôle d’éducateur ou de Sauveur pour se « racheter » de sa vie passée ? Moi, l’objet de sa rédemption : me voir réussir était-ce sa réussite ? Vivait-elle sa vie par procuration ? Est-ce que je la connaissais véritablement ?
Je me demandais souvent si elle s’épanouissait en tant que femme. Il y avait toujours ces doutes qui rodaient dans ma tête. Ils s’insinuaient malicieusement.
Ce matin-là, ma femme décida promptement de m’accompagner au foyer. Elle me sentait paniquée, surement l’intuition féminine.
« – Allez, je t’accompagne ce matin !
– C’est bizarre pourquoi tu veux m’emmener ? D’habitude, tu n’aimes pas trop sortir le matin.
– N’importe quoi ! J’ai rdv chez l’esthéticienne et au salon de coiffure du centre à côté du foyer. Je te jette. Coiffeur, une petite beauté, quelques courses et je te récupère à midi ! OK chef !
– Vas-y pas de souci si cela peut te faire plaisir ».
Lors du trajet, Emma me rappela que cette réunion de rentrée n’était rien d’autre qu’un spectacle, une vitrine.
« Ces gars, ces nénettes ce sont des chiffe molles par rapport à toi. Ce foyer, c’est chez toi. Mets toi bien cela dans la tête ! »
Chaque fois que je stressais en évoquant mes nouveaux cadres, la nouvelle équipe, elle me remontait le moral en me rappelant que tout ceci n’était qu’un cirque, une comédie, une mascarade, un jeu de dupes.
En arrivant près du foyer, elle ne manqua pas de souligner à quel point elle me trouvait charmant. A peine ai-je eu le temps de descendre du véhicule que le portail s’est entrouvert. Et là devant moi, un parfait inconnu, une sacoche à la main, chic et élégant qui semble se diriger vers l’intérieur de l’établissement. Il avance tête baissée d’un pas ferme et décidé comme préoccupé. Quand Emma redémarre, il se retourne brusquement de tout son corps comme apeuré par le bruit assourdissant de notre sportive.
Ce qui compte, ce sont ce que les yeux disent.
Leurs regards se croisent et se figent l’un dans l’autre. Un long moment de silence s’en suit. Il plisse les yeux tout en s’approchant du côté conducteur. Je crains qu’il ne l’invective. Mais là, rien n’est dit. Silence radio. J’observe Emma qui le fixe et se tait. C’est alors qu’elle serre délicatement entre ses mains son pendentif qu’elle chérissait. Etrange. Elle, la sanguine qui a l’insulte facile. Emma sourit malicieusement et repart comme gênée. Lui, ne cesse de la regarder comme abasourdi. Je suis déconcerté par cette scène anodine. Les mots sont finalement sans importance. Ce qui compte, ce sont les regards. Ce qui compte, ce sont ce que les yeux disent.
« – C’est ma femme Monsieur ! Veuillez nous excuser.
– Il n’y a pas de mal. J’ai seulement été surpris. Vous travaillez dans ce foyer ?
– Oui, je suis éducateur. Et vous ?
– Le nouveau chef de service, votre nouveau chef service !»
Un frisson me saisit soudain, un étrange frisson d’angoisse.
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