Comment travailler dans l’accueil d’urgence sans être dans l’urgence ?
Tout d’abord, c’est un honneur pour moi de partager ma vision du boulot dans cet article. Je m’appelle Sènami, j’ai 31 ans et je travaille dans la protection de l’enfance auprès de jeunes qui ont entre 14 et 18ans depuis maintenant 5ans et depuis quelques mois, je me suis lancée dans la réalisation de vidéos humoristiques mais sérieuses pour parler de mon boulot à travers des anecdotes (petite pub, mon Instagram : pawol_d’éduc 😉).
C’est partie on s’y jette ! Je vais commencer par une partie de ma vie, quelques péripéties qui m’ont amené à être actuellement éduc dans la protection de l’enfance dans un foyer d’accueil d’urgence.
Qu’est-ce qui m’a motivé à faire ce métier ?
Depuis l’enfance, mon regard et mon attention ont toujours été tourné vers les autres. Le partage, la solidarité et l’entraide sont des valeurs qui m’ont été inculquées très jeune. En effet, mon plus vieux souvenir date du CM1, lorsqu’au lieu de prendre la photo de carnaval avec mon acolyte de tous les jours, je la faisais avec un camarade atteint de trisomie21 qui se retrouvait tout seul. C’est ce jour-là que j’ai décidé que mon métier serait de « porter une attention particulière aux personnes qui en ont besoin ».
Quelques années plus tard
Je me lançais à la tête d’un groupe de Hip Hop pour l’association sportive du collège afin que mes camarades viennent danser au lieu d’aller boire dans le parc d’à côté. Cette expérience renforçait l’idée que plus tard j’aurai un travail qui sera en lien avec les jeunes et les activités ayant pour but d’empêcher les écarts de conduite. Ne sachant pas, bien sûr, du haut de mes 14 ans, que ce métier existait et que c’était celui d’éducateur. J’ai d’abord commencé une licence d’anglais, mais me suis rendu compte que ce n’était pas cela qui m’animait, je ne voulais pas aider les jeunes uniquement en anglais (une matière qui selon moi est un bonus dans la vie) mais plutôt dans leurs difficultés plus profondes, plus générales.
Je me suis donc réorientée et ai obtenu mon diplôme d’état de moniteur éducateur. Mais comme précédemment dit dans social et tais-toi, il y a différents types d’éducateurs, travaillant dans différentes structures. En ce qui me concerne, j’exerce en tant qu’éducatrice dans la protection de l’enfance dans un foyer d’accueil d’urgence.
Que signifie travailler dans un foyer d’accueil d’urgence ?
Un foyer d’accueil d’urgence est un établissement où sont placés des jeunes qui peuvent avoir des problématiques différentes, voir qui s’opposent, en effet, nous sommes le premier maillon de la chaîne des placements. Nous pouvons les accueillir continuellement. Emmenés par la police ou l’assistante sociale, ils peuvent arriver 24h/24, 7j/7, 365 jour par an à part pour les années bissextile bien sûr LOL.
L’objectif final est d’orienter le jeune au bon endroit, dans un lieu qui correspond à ses besoins et problématiques. Par exemple, si à l’arrivée du jeune nous remarquons qu’il a « un pied » dans la délinquance mais qu’il n’est pas encore dans le grand banditisme, il serait peut-être intéressant pour lui d’être orienté non pas dans un établissement qui serait comme une alternative à la prison, au risque qu’il bascule complétement vers « le côté obscure de la force », mais plutôt vers un foyer de jeunes travailleurs. Il prendrait alors exemple sur eux et resterait peut être dans le « droit chemin ».
Mon boulot d’éduc dans l’accueil d’urgence
Il est donc de comprendre les problématiques de chaque jeune, de travailler l’individualité dans le collectif, afin de proposer au juge avec l’aide des différents corps de métiers (psychologue, assistante sociale, chef de service, infirmière, etc…) la meilleure orientation possible, tout en travaillant, autant que faire ce peu, avec le famille comme le dit la loi 2002-2 (oubliez pas ça à l’examen surtout les futurs éducs😉). Une grande partie de mon boulot d’éduc consiste à faire des analyses et hypothèses.
Sur quels outils, nous appuyons-nous ?
A mon sens, la rencontre est très importante, car nous n’avons que 3 mois pour faire cette évaluation et orienter le jeune. De ce fait, il faut rapidement créer un lien et le mettre à l’aise dès son arrivée. Pour nous aider à effectuer une évaluation, nous devons user de stratégies et de « techniques du social » pour créer un lien de confiance afin que le jeune s’ouvre à nous. Nous cherchons à ce qu’il se révèle dans son authenticité la plus profonde afin de le comprendre et de l’évaluer. Comment réagit-il à cette partie de ping-pong ? Est-ce qu’il s’énerve, est-ce qu’il est calme ? Quel est son niveau d’autonomie ? Sait-il faire la lessive, faire à manger ou même se laver correctement ?
Lors de mon arrivée dans le métier
J’ai alors vite compris qu’il fallait que je m’appuie sur des outils éducatifs. Des activités comme du sport, de la cuisine, écouter de la musique… le « faire avec » est très important. Inclure le jeune et le rendre acteur de son placement. Pour mon cas, le baby-foot est donc vite devenu mon meilleur ami. Il me permettait de créer un lien, d’ailleurs, pour les éducs à venir, ne vous inquiétez pas, il n’y a pas de bon ou de mauvais lien, l’essentiel est d’en créer un et de s’appuyer dessus pour avancer. Je reviens donc au babyfoot. Cette activité me permettait de mettre en place des entretiens individuels informels en les dédramatisant. En effet, le fait de ne pas être assis dans un bureau, l’un en face de l’autre, les yeux dans les yeux, rend l’entretien moins impressionnant, moins strict et de ce fait, les langues se délient.
Jouer humanise
Le jeune voit que tu es un humain comme lui, que tu peux avoir des réactions positives mais aussi négatives face à la défaite. Les jeunes sont parfois dans l’illusion que les éducs sont parfaits, qu’ils ont une vie irréprochable et sont uniquement là pour faire la morale. Mais éduquer, à mon sens, ce n’est pas« faire la morale », ce n’est pas non plus « faire rentrer dans une norme ».
Eduquer
C’est davantage permettre à la personne de prendre une place dans la société (ce qui commence par lui permettre de prendre une place dans l’institution, dans son groupe de vie), en l’aidant à repérer et comprendre ce qui fait blocage pour elle, au-delà de ce qu’elle peut initialement voir. Pour moi, l’accompagnement éducatif ne peut véritablement s’engager qu’à condition que je reconnaisse la personne dans ce qu’elle est. Il ne peut « avoir lieu » qu’à condition que je m’intéresse à cette personne à partir de ce qu’elle dit et de ce qu’elle me raconte d’elle.
Une fois mon évaluation faite
Je fais un rapport éducatif avec l’aide d’une équipe pluridisciplinaire comme j’en ai déjà parlé plus haut, et nous proposons donc au juge une orientation et c’est celui-ci qui prendra la décision finale de nous suivre ou non. Les foyers qui prennent la relève, contrairement à nous, choisissent les jeunes qui intègrent le foyer. Cela peut alors nous mettre en difficulté car si on ne trouve pas de foyer pour le jeune, il reste avec nous alors que notre foyer d’accueil d’urgence n’est pas fait pour la longue durée. Un jeune peut sortir d’ici plus ‘’zinzin’’ qu’il ne l’était à l’arrivée s’il reste trop longtemps (selon les jeunes qu’il croisera et leurs problématiques).
Quelques réflexions
En ce qui concerne mon parcours, j’envisage de continuer les vidéos afin de donner des conseils aux personnes ‘’lambdas’’ car selon moi, nous sommes tous l’éduc de quelqu’un. J’aimerais aussi intégrer le conseil national de la protection de l’enfance afin de faire bouger les choses qui ne peuvent pas l’être à mon échelle. Nous sommes uniquement des ‘’bricoleurs du social’’ qui essayons d’aider dans un système qui ne nous donne pas les moyens nécessaires à la réussite de notre travail. Partir du postulat que l’on accompagne le jeune jusqu’à seulement 18ans, bien qu’il y ait une possibilité d’accueil jeune majeur, est selon moi trop ambitieux en un temps si court. Ce boulot est aussi une course contre la montre. Mais si je n’ai pas le choix, je suis prête à relever le défi, mais quand même, l’objectif est que tous ensemble nous arrivions à faire bouger les choses. Il est peut-être l’heure de repenser le social et de lui donner plus de crédit ?
Sois social, sois toi-même et ouvre là 😉.
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