Qui suis-je ?
Je suis éducatrice spécialisée depuis 2 ans maintenant. Et depuis quelques mois, je travaille au Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale pour hommes où j’avais déjà effectué un stage.
D’aussi loin que je me souvienne, je suis incapable de dire comment j’ai découvert le métier d’éducatrice spécialisée. Mais je savais que c’était ce métier que je voulais pratiquer. En revanche, je ne pensais pas une seule seconde m’orienter dans le domaine de la réinsertion sociale mais la vie en a décidé autrement.
J’ai fait un stage dans le champ du handicap, un autre dans la protection de l’enfance et le dernier en CHRS. Et à partir de là, j’ai su que c’était dans ce domaine que je voulais travailler bien que je ne sache encore dire pourquoi.
Aujourd’hui, j’ai à cœur de parler du métier d’éduc en CHRS car c’est un secteur peu convoité et peu connu dans le social.
Journée type et temps clés du quotidien
Je travaille en internat avec une amplitude horaire de 7h à 22h.
7h. Le point avec les veilleurs. Je lis le cahier de transmission et ensuite je me dirige au réfectoire où je prends mon petit déjeuner avec les résidents. On pourrait penser que je ne travaille pas mais au contraire ! Je montre que je suis là, que je suis présente. Je discute, j’échange, je ne dis rien ou les autres ne disent rien. Ensemble en silence, ça fait du bien parfois. Puis, je souhaite à chacun de passer une bonne journée.
Si nous sommes en début de semaine, je vais faire le tour des chambres vers 10h. Avec certaines personnes, je peux rester échanger de longues minutes sur la pluie et le beau temps, et parfois on parle crue : addiction, consommation drogue, déprime dépression, mal-être, hygiène. J’essaie d’entendre ce qu’on ne me dit pas, de voir ce que l’on ne me montre pas. Pour certains, la porte s’ouvre à moitié… Ce n’est rien, il faut du temps. Je tenterais autrement la prochaine fois.
11h30. C’est le moment d’aller au réfectoire, c’est plus animé que le matin. Parfois, je mange avec les résidents. J’aime bien ces moments où l’on partage des discussions plus légères et des silences aussi légers que pesant. Certains gardent leur capuche, tête baissée et repartent aussi vite qu’ils sont arrivés. Je me demande pourquoi ? Je m’interroge ? Que vais-je faire ? D’autre fois, je mange avec mes collègues, ça me fait du bien aussi de parler et d’échanger avec eux.
14h. La relève avec l’équipe de l’après-midi. Transmission : que s’est-il passé ? Est-ce que ça va ? Y a-t-il des urgences, des rendez-vous ?
18h30. Le repas du soir.
22h. Transmission avec les veilleurs de nuit puis le lendemain on recommence.
Les missions et rôle de l’éducateur
Entre ces temps clés du quotidien, on organise des rendez-vous afin de faire les démarches administratives : Actualisation Pôle Emploi, demande de CSS, demande de mise sous tutelle-curatelle etc. Quand on peut, on se dégage du temps pour rédiger nos comptes rendus, les prises en charge, les renouvellements et les fins de prises en charge que nous devons envoyer à la DDCS (Direction Départementale de la Cohésion Sociale). On prend le temps de faire les projets personnalisés.
J’essaie de donner envie à la personne de s’investir dans son projet de vie. On les accompagne à leurs rendez-vous. On rassure, on structure, on explique. On prend le temps de faire le point sur leur situation. Quels sont vos objectifs ? Qu’est-ce qui a été fait ? Que reste-t-il à faire ? On aide à la gestion administrative mais aussi financière. On accompagne vers l’emploi, l’accès à la santé, vers le logement ou on oriente vers des structures plus adaptées aux besoins de la personne. Parfois, aucune structure ne semble convenir. “La personne ne rentre dans aucune case”.
Les partenaires
Je travaille beaucoup avec les partenaires. Heureusement car ne je maitrise pas tout. Comment ça avance avec Monsieur ? On en est où ? Pouvons-nous nous rencontrer pour faire le point ? Je travaille avec le SPIP (Service Pénitentiaire Insertion et Probation), le CSAPA – SATO (Centre de soins d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie), les docteurs, les addictologues, les psychologues, les CHI, les CMP (Centre Médico-Psychologique), les Missions Locales, Pôle Emploi etc.
L’ accueil, un rôle prépondérant
Souvent, j’intègre des nouvelles personnes au CHRS. Je leur explique le fonctionnement de la structure. Je leur fais visiter les locaux. Je leur donne leur literie et je les accompagne dans leur chambre et je donne les clés. Je sais que ces premiers instants sont précieux voire essentiels. Cela va déterminer inconsciemment une partie de l’accompagnement. J’essaie d’être rassurante, structurante et le plus clair possible. Car je sais que l’arrivée dans une structure sociale c’est violent. J’essaie de ne pas en rajouter.
Les activités
J’organise des activités, des sorties, des projets afin de sortir les gens de l’isolement, de leur faire voir, découvrir autre chose, de leur donner confiance en eux. On peut monter un projet accès sur l’insertion, la valorisation comme on peut faire des crêpes, jouer au tennis de table. L’on se creuse les méninges pour mettre du sens derrière chacune de nos actions : favoriser le lien social, favoriser l’estime de soi, permettre aux personnes de s’évader, prendre du plaisir etc.
Le public
Les problématiques rencontrées sont nombreuses. Elles peuvent aussi être cumulées pour une même et unique personne à savoir : précarité, marginalisation, problème d’hygiène, d’addiction, de polyaddition, problème de confiance et d’estime de soi, violences, sortant de détention etc.
Autant de parcours que de personnes
Souvent, on ne sait plus où donner de la tête ou par où commencer. Alors, on se questionne. Comment vais-je créer du lien ? Comment vais-je pouvoir l’accompagner ? Quels sont ses besoins ? Tout autant de questions qui sont nécessaires pour tenter d’accompagner au mieux ces personnes.
La temporalité
Parfois, les personnes avancent vite. Six mois et c’est gagné ! D’autres fois, on est sans solution. On a sorti notre trousse à outils, on les a testé un par un mais rien a fonctionné. Quelques fois, nous avons l’impression d’être trop investi. Alors qu’à d’autres moments, on se dit qu’on n’a pas été assez présent. Il arrive aussi que l’on doit calmer les personnes « chaque chose en son temps ». Sinon, on risque de se précipiter et de louper. Et puis d’autres fois, on doit leur rappeler que l’on ne pourra pas les garder éternellement, qu’il faut avancer même si c’est dur… Et oui ! On doit rendre des comptes au-dessus, à la DDCS. On réussit, on échoue dans nos missions. Mais chaque avancée est une victoire pour nous mais surtout pour la personne.
Ces moments imprévisibles et si importants
Et puis, il y a ce que l’on ne prévoit pas. Ce monsieur qui vient à 20h30 pour pleurer, pour crier. Ce monsieur qui vient car il a besoin de parler, d’évacuer, de déposer une partie de son fardeau. Ce monsieur qui vient alcooliser, avec qui je n’arrive pas à discuter ou le dialogue n’est pour le moment pas possible. Parfois, je l’invite à s’asseoir et d’autres fois, je l’invite à aller se reposer. J’essaie d’agir au mieux en fonction de leurs besoins et de mes capacités sur le moment. Il m’arrive d’avoir l’impression de répondre complétement à côté de la plaque. Tandis qu’à d’autres moments, je sens que mes mots ont été justes. Il m’arrive aussi de ne rien dire, juste écouter. Dans certaines situations, les mots ne suffisent plus.
Prendre son temps en allant vite
Pour résumer mon témoignage, je dirais qu’en étant éducatrice en CHRS, on accompagne les gens dans leurs objectifs de vie en prenant en compte leurs souffrances, leurs peurs, leurs limites et leurs potentiels. En tout cas on essaie ! On est là au quotidien, on est là dans les bons et les mauvais moments. On accompagne des gens qui nous touchent, nous bouleversent, nous énervent. Des gens qui mettent en lumière nos propres insécurités, nos propres doutes et limites. Alors, on fait au mieux en sachant que le temps est compté, qu’on n’a pas l’éternité. Et c’est là tout le paradoxe de la temporalité dans notre travail, toute la complexité : prendre son temps en allant vite…
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, vous devez toujours la comparer à un commentaire spécifique. Veuillez lire Débogage dans WordPress (en) pour plus d’informations. (Ce message a été ajouté à la version 6.1.0.) in /home/soissociut/www/wp-includes/functions.php on line 5835C’est tellement cela et plus encore.