Se lancer dans une profession du lien à l’autre.
En tant que psychologue, je fais partie des personnes qui ont choisi un métier basé sur des valeurs, marqué par le souci des autres, l’attention, la présence, l’accueil et l’écoute. Pourtant, à mes débuts, rien ne me prédisposait à choisir cette voie.
Je me souviens très bien d’une amie de classe, quand j’étais en 1e ES. A la question de savoir ce que l’on voulait faire plus tard, elle avait répondu sans hésiter « Assistante Sociale ». J’avais admiré cet aplomb. Comment peut-on savoir aussi tôt que l’on a envie de se diriger vers ce type de métier ?
Bizarrement, je comprenais mieux ceux qui répondaient: médecin, diplomate etc. Car nous étions encore à cette époque largement influencés, influençables et encore sensibles à la question du prestige.
Pourtant, peu de temps après, je prenais moi aussi le chemin des métiers de la relation à l’autre en me dirigeant vers des études de psychologie.
Diplômée en psychologie du travail à l’université de Rennes 2 en 2005, j’ai exercé en tant que conseillère d’orientation-psychologue puis en tant que psychologue du travail dans une structure d’insertion. Après une reprise d’étude en psychologie clinique (Master 1), j’intègre un département dans le cadre d’une mission sur le reclassement professionnel des agents internes à la collectivité.
Depuis 2018, je tiens un blog retraçant mon expérience sur la thématique de la santé au travail que j’adresse particulièrement aux professionnels des métiers du lien à l’autre: travailleurs sociaux, enseignants, soignants etc.
Cette idée de partage
Elle existe déjà depuis 2009. A cette époque, je devais absolument réussir à mettre des mots sur ce que j’avais ressenti, ce que je ressentais encore.
Au travail, le burn-out s’était invité dans ma vie, de façon insidieuse. Pendant des mois, je savais que je ne pétais pas la forme sans avoir vraiment d’idée sur quoi faire. J’ai minimisé toutes les angoisses, maux de ventre, insomnies, fatigue, peurs…
Comme pour beaucoup, je ne m’en suis rendue compte que lorsque j’étais complètement engluée dedans. A ce moment là, je n’étais plus en état de réagir de façon adaptée.
Ainsi, au travers de cet article, mon envie est de permettre aux nouveaux venus de prendre pleinement leur place et aux plus anciens d’avoir ce désir de poursuivre dans ce monde incertain mais si riche d’expériences peu communes.
Aussi, j’ai eu envie de vous raconter certaines choses dont j’ignorais totalement l’existence en me jetant dans le grand bain du monde du travail. Des choses, des feedback, que j’ai tirés de mon expérience professionnelle et personnelle résumés en 4 points.
1. La violence du monde du travail
Que nous ayons une expérience de stage ou pas, le grand bain, c’est effrayant.
En effet, la plupart d’entre nous, nous sommes portés sur l’humain, son potentiel, ses trésors. Notre formation nous prépare à être en soutien, à se situer dans une recherche continue au niveau de sa posture, à se remettre en question. On est formé à avoir un œil différent sur le monde.
Il est surprenant voir déstabilisant d’intégrer un monde « réel » fait d’embûches et d’enjeux de pouvoir à tous les niveaux. Quand on est dans une structure, quand on n’a pas les moyens de réaliser sa fiche de poste, on ne sait parfois pas si on doit agir avec sa hiérarchie comme on a été à l’école: docile et gentil, ou trublion et rebelle face aux objectifs qui nous sont fixés.
On ne sait plus à quel saint se vouer.
2. Les valeurs que l’on défend ne font pas l’unanimité
Pourtant, elles forment ce socle si important qui caractérise notre Humanité. Je vais en citer quelques-unes parce-que cela fait du bien: respect, courage, travail, rigueur, considération, bienveillance, justesse, diversité…
Si on veut perdurer dans ces métiers, il nous faut nécessairement prendre position. Je ne parle pas de la fougue du jeune professionnel. Je parle du choix réfléchi, sage qui peut nous servir de boussole, guider nos actions quotidiennes et qui finit par nous révéler qui nous sommes vraiment.
Ce que j’aime par-dessus tout c’est l’impression d’être au plus près des gens, de ce qu’ils vivent, la réalité (le vrai) et non le fantasme (ce qu’on croit et ce qu’on veut nous faire croire). D’ailleurs, je remarque que plus on est clair par rapport à notre positionnement plus il est facile de faire confiance à ses ressentis et à sa propre analyse.
« Entre la théorie et la pratique, c’est toujours la pratique qui a raison » – Michelle Obama
Je précise quand même que les 2 sont nécessaires !
3. Apprendre à travailler avec soi-même
On en arrive maintenant à un aspect capital. Nous avons l’impression que l’on travaille principalement avec l’autre, à travers notre lien à l’autre. Et bien, c’est inexact. Le travail avec l’autre, c’est la partie visible. La partie invisible, c’est le travail avec soi-même.
“Au fur et à mesure que vous développez la lumière qui est en vous, vous permettez aux autres de développer la lumière qui est en eux”
L’ implication émotionnelle est à la fois garante d’un travail de qualité mais peut être aussi notre principal facteur de risques : mal-être, burnout etc. Ce n’est qu’en se connaissant assez et en se donnant assez d’importance que l’on peut éviter la « contagion émotionnelle ».
J’en suis venue au constat que le travail du lien ne pouvait être effectif que si on était équilibré soi-même. Il est vrai que notre culture professionnelle nous apprend à prendre soin des autres, moins de soi ! Or, si on veut travailler dans la relation de service ou d’aide à l’autre selon ses convictions et ses valeurs, être dans l’équilibre au travail comme dans la vie est la seule option.
” Contribue à rendre meilleur l’univers qui t’entoure mais n’oublie pas de façonner le multivers qui te compose”
Pas de panique, ce n’est pas inné ! On se construit au travers de nos expériences. Ce qui est chouette, c’est qu’on avance en même temps que les autres.
4. Je ne perds jamais: soit je gagne, soit j’apprends
On apprend autant des expériences positives que des négatives. J’ai remarqué que beaucoup de professionnels du lien à l’autre avaient des réflexes de pensée menant à la culpabilisation facile et avaient une tendance au perfectionnisme. Cela arrive presque toujours : on en fait trop ! Et quand on en fait trop, c’est comme si on nous collait cette étiquette sur le front « éternels sacrifiés ». On peut s’impliquer émotionnellement tout en se préservant de la pénibilité du travail du lien à l’autre.
Ça ne saute pas forcément aux yeux quand on travaille dans le social. Mais observez qui autour de vous accepterait d’être autant dans le déséquilibre ? Reconnaissance quasi inexistante, salaire bas, santé mentale qui en prend un coup, angoisses, anxiétés…
L’exposition à nos difficultés
Elle nous apprend littéralement ce qu’il faut mettre en place pour notre bien-être. Je suis en train de dire que si on arrive à prendre du recul, à donner du sens à ce qui nous arrive, à agir de façon juste pour soi et pour les autres, on peut se dégager des paradoxes du travail social.
Comprendre son fonctionnement personnel et agir de manière adéquate dans le cadre de son activité permet aussi de préserver sa capacité à contribuer efficacement au monde. Je suis convaincue maintenant qu’on peut arriver à notre intention de départ à savoir participer à notre échelle à créer un monde meilleur.
Carol VIOLTON, Psychologue, auteur du blog http://equilibreautravail.fr/
Chargée de parcours professionnels et des mobilités des agents en situation d’inaptitude dans un conseil départemental
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